Le syndrome de Caliméro

On entend souvent certains comédiens voix off se plaindre des tarifs bas parfois proposés. Alors, sommes-nous victimes de méchants rapaces à l’affût de pauvres petites proies sans défense ? Est-ce vraiment trop injuste ? 

CalimeroOn a tous vu tourner des annonces de casting avec des tarifs qu’aucun comédien voix off respectant notre métier n’oserait proposer. Je me suis vu offrir des pubs TV nationales à 150 €. Oui, y compris les droits d’exploitation, qui d’ailleurs n’étaient même pas mentionnés. Ces séances proposées à des tarifs rase-motte, refusées par les professionnel·le·s qui se respectent, finissent pourtant toujours par être acceptées par des personnes qui se présentent comme des comédiens voix off professionnels. Le résultat est invariablement médiocre : il est évident que si des individus, tels des vautours se nourrissant de restes de carcasse avariée que personne d’autre ne veut, se vendent au tarif et non au talent, c’est qu’ils ont peu de talent à vendre.

Souvent, les boîtes de prod qui agissent ainsi se verront refuser ces piteux enregistrements par leur client, et devront faire appel à un (vrai) professionnel pour réenregistrer, en y étant de leur poche parce que les professionnel leur feront payer le vrai tarif : le tarif de professionnel. Bien sûr, de piètres interprétations sont parfois validées : il arrive qu’on entende des voix off vides de tout intérêt, ânonnant laborieusement leur script tel un enfant en train d’apprendre à lire ou faisant des effets de voix comme un mauvais avocat fait des effets de manche, et qu’on se demande, comment est-il possible de cette personne ait été choisie ? Heureusement, c’est assez rare, mais ça arrive.

C’est quoi, un tarif juste ?

On voit aussi tourner beaucoup de demandes de tarifs sur les réseaux sociaux, ce qui est compréhensible, vu les différents types de tarifs : à la séance, au décompte mots, à la minute finie, à l’heure finie, les droits d’exploitation… pour les différents secteurs : spots TV, pubs radio, films institutionnels, films web, spots sponsorisés sur les réseaux sociaux, motion design, livres audios, e-learning etc.

Mais si nous nous lançons dans un métier, ne devons-nous pas, comme tout un chacun, non seulement avoir le talent pour celui-ci et acquérir les compétences nécessaires pour l’exercer, mais aussi apprendre comment il fonctionne, ses codes, et nous éduquer sur les bonnes pratiques, dont les tarifs appliqués par les professionnels ? J’en parle dans mon article 20 Conseils Pour Réussir En Voix Off. Il y a une corrélation évidente entre le fait que nombreux d’entre nous ont des difficultés à établir un devis logique, cohérent, et le fait que quelques boîtes de prod peu scrupuleuses cherchent à abuser cette faiblesse.

Bien sûr, les personnes se plaignant des faibles tarifs qui leur sont proposés savent que ceux-ci sont en-dessous de la norme professionnelle (sinon elles ne s’en plaindraient pas !), mais si on ne connaît pas précisément la valeur d’un travail demandé, comment savoir à quel point ce tarif est inférieur à cette valeur ?

Si un client nous propose un tarif, c’est à NOUS de savoir s’il est correct ou non, et de l’accepter ou de le refuser. Si un client nous demande notre tarif, c’est à NOUS de savoir ce qui est pertinent et de dire au client, mon tarif c’est tant et ça inclut ceci et ça exclut cela : séance, studio si on travaille depuis notre studio privé, dérushage, nettoyage et calage à l’image si demandé, droits d’exploitation si applicables… Les clients sérieux apprécient notre travail à sa juste valeur.

Vous voulez vous simplifier la vie ?

C’est simple : publiez vos tarifs. Je publie les miens – vous les trouverez dans cette page, où se trouve ma grille de tarifs voix off. Ça vous évitera d’avoir à répondre à des demandes au ras des pâquerettes ; seuls les client sérieux vous contacteront. Je comprends bien la résistance à faire cela : la peur de ne plus se voir proposer de travail. C’est pourquoi nombres de personnes qui se vendent au prix le plus bas ne le font pas : ça ferait fuir leurs seuls clients. Mais les comédiens voix off de talent ne font pas fuir les clients. Dans le monde du travail, personne ne respecte quelqu’un qui ne se respecte pas : ceux-là se feront exploiter pour les boulots au rabais, et auront souvent du mal à se faire payer, parce que les mauvais clients sont aussi de mauvais payeurs. Et quand le casting sera au talent et non au tarif, ils ne seront même pas considérés.

grille de droits d'exploitation internationauxAu Royaume-Uni, il existe un syndicat (Equity) qui recommande des tarifs (parfois corrects, parfois… moins corrects, mais c’est un autre sujet) pour la pub et l’ADR, en passant des accords avec les différents acteurs des secteurs concernés (agences pub, boîtes de prod, agents de voix off etc). Du coup, le métier y est structuré, les agents de voix et les comédiens professionnels proposent tous plus ou moins le même tarif de base, et les droits d’exploitation sont définis selon le ou les medias, le territoire et la durée couverts. La grille à gauche est publiée par usefee.tv, validée par Equity (cliquez sur l’image pour l’agrandir).

En France, rien et du coup, c’est la foire d’empoigne. Et qu’on ne vienne pas me dire que c’est ainsi depuis l’avènement des comédiens voix off qui travaillent depuis leur propre studio. Je suis dans le milieu depuis les années 80, d’abord en tant que concepteur-rédacteur en agence de pub puis en tant que comédien voix off depuis 1994, et je peux vous dire que cela existe depuis bien plus longtemps.

Bien sûr, dans un monde idéal personne ne chercherait à exploiter des professionnels mal informés ou des gens qui n’ont pas les compétences pour exiger des tarifs qui reflètent ces compétences qu’ils n’ont pas, et tous les clients connaîtraient les tarifs en vigueur. Mais nous ne vivons pas chez les bisounours : le monde réel est ce qu’il est. Il ne faut pas pour autant pointer du doigt ces clients.

pourboire

L’écrasante majorité des sociétés de production proposent des tarifs professionnels, et relativement peu offrent un pourboire en guise de cachet aux comédiens voix off. Mais même ceux-là ne sont pas responsables du fait que nous acceptions ces tarifs aux rabais. Nous avons le choix de refuser. Bien sûr, parfois, c’est difficile, mais nous ne sommes pas des victimes. Si nous acceptons des tarifs impropres, ce n’est pas de la faute de ceux qui les proposent, mais collectivement, de la nôtre.

Enfin, il est important de comprendre qu’en travaillant à des tarifs trop bas, on tue le métier. Historiquement, tirer les tarifs vers le bas n’a jamais été de bon augure. Et si vous pensez que vous pourrez ajuster vos tarifs quand vous aurez plus d’expérience, détrompez-vous : une fois dans le tiroir ‘pas cher’, vous ne ferez jamais la transition vers le tiroir ‘qualité’. On ne change pas une première impression.

De plus, comme je me tue à le répéter, nous ne sommes pas fonctionnaires : l’ancienneté n’a aucune pertinence dans notre métier. Si nous ne sommes pas capables de le pratiquer à un niveau professionnel, on se forme. Si nous en sommes capables, nous avons la même valeur que tout autre comédien·ne· voix off, quelle que soit son expérience. C’est un sujet que je développe dans mon article Touche Pas Au Grisbi. Respectez-vous, ne vous dévaluez pas, vous valez mieux que ça.

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