Voix off : investir dans son métier
Je vous préviens, cet article ne va pas plaire à tout le monde. Pourquoi ? Parce que j’y parle d’un sujet qui dérange certains voix off : investir dans son métier
J’ai déjà écrit un article sur le sujet oh combien épineux de l’argent : Touche Pas Au Grisbi qui traite des tarifs pratiqués (ou non !) par les voix off. Mais ici, je parle d’investissement, un mot souvent incompris, presque tabou, en France. J’ai récemment vu un de ces posts à rallonge qu’on trouve sur Linkedin, écrit par un ‘créateur de contenu/influenceur/comédien voix off’ (dans cet ordre, c’est à dire quelqu’un qui fait beaucoup de vent pour prétendre qu’il est un gourou du métier alors que son portfolio est… clairsemé).
Dans ce post, il se vantait, photos à l’appui, d’avoir commencé avec un ‘studio’ pourri, couette, boîtes d’œufs, micro à 2 balles, bref, quelque chose qui ne peut que donner un son médiocre. Il était presque fier d’avoir pu tromper ses clients en leur faisant croire qu’il travaillait depuis un ‘vrai’ studio : “Il faut bien commencer quelque part, pas vrai les gars ?” Jeune entrepreneur, je te remercie, tu m’as inspiré cet article.
Il est un fait que certains comédiens voix off confondent investissement et dépense – et ont du mal à comprendre qu’investir dans son métier, c’est nécessaire. Ils ne se forment pas, ont des démos qui ne répondent pas aux codes (dont je parle dans l’article sur les Démos Voix Off), avec reverb, saturation et pops, un studio placard du type décrit ci-dessus, un site web Wix gratos qui fait bricolé maison et qui est quasi-invisible pour Google… et ne réalisent pas qu’ils crient ainsi à leurs clients potentiels “Surtout ne me donnez pas de travail, je suis amateur”. Si nous ne sommes pas prêts à investir en nous, pourquoi penser que des clients le feraient ?
Est-ce parce que certains d’entre nous ont des oursins dans les poches ? Est-ce parce que certains pensent qu’ils sont différents des autres artisans, se prennent pour des artistes et qu’ils ne voient pas la voix off comme un métier ? Est-ce une résistance inconsciente à s’engager dans une activité dans laquelle il est notoirement difficile de réussir ? Le fait est là : investir, c’est compliqué pour beaucoup.
Imaginez ce comportement dans tout autre métier. Un restaurant qui travaille avec des réchauds, des tables de camping, des assiettes en papier et des couverts en plastique, avec un chef qui cuisine ‘à l’instinct’ (traduction : qui n’a aucune base de cuisine), des serveurs qui parlent wesh, aucune notion d’hygiène, une vitrine dégueulasse, bon vous avez le tableau. Vous pensez que ce resto resterait longtemps ouvert ? Non ? Alors pourquoi serait-ce différent pour les voix off ?
Et c’est compréhensible : la peur est un garde-fou. Si vous hésitez à investir, c’est peut-être qu’au fond de vous, vous ne vous sentez pas prêt à vous lancer dans une nouvelle aventure. Auquel cas, attendez simplement d’être prêt. Mais quand vous êtes chaud patate, donnez-vous les moyens.
À chacun son métier, les vaches seront bien gardées
Ma grand-mère disait cela souvent, et elle avait du bon sens, ma grand-mère. Prenons l’exemple du site web. Tous les comédiens voix off s’accordent à dire que plutôt que d’aller embaucher des voix off médiocres au rabais sur les plateformes discount, les clients devraient faire appel à des professionnels – et payer les tarifs professionnels.
Mais au lieu de mettre en pratique ce qu’ils prêchent et embaucher des spécialistes, nombreux sont ceux qui pensent pouvoir ne pas sortir leur portefeuille et faire eux-mêmes leur site web, de A à Z. Et la plupart du temps, ces sites web sont presque invisibles pour Google et crient haut et fort ‘amateur, à fuir’ aux clients potentiels qui, par miracle, ont atterri dessus.
Concevoir un site web, c’est un métier. Soit on fait appel à quelqu’un dont c’est le métier (et les bons web designers ont un prix, parce qu’ils sont en demande et n’ont pas besoin de se brader, comme les bons comédiens voix off), soit on se forme réellement, et ça prend du temps. Beaucoup de temps. Énormément de temps. Il y a des codes à respecter pour qu’un design soit non seulement agréable à l’œil, au goût du jour (qui évolue constamment), mais aussi facile et intuitif à utiliser.
Et puis il y a le SEO, un autre métier ou plutôt deux autres métiers à part entière : le SEO organique pour draguer les moteurs de recherche, et l’optimisation backend pour que le site soit performant, accessible et rapide, des facteurs essentiels dans l’algorithme Google pour qu’il référence correctement les sites. Pour cela, il y a des plugins – qui ont un coût, tout comme un hébergeur décent.
Un développeur backend, qui fait des trucs auxquels la plupart des mortels (dont moi) ne comprennent strictement rien, ça vaut son pesant d’or pour faire en sorte que votre site soit le plus performant possible… et d’arriver le plus haut possible dans les SERP. Évidemment, un bon développeur, ça a aussi un coût, mais avec un retour sur investissement spectaculaire.
Enregistrer dans un placard, ça le fait non ?
Bien sûr, et te payer avec des cacahuètes pour ton travail de merde, ça le fait aussi, non ? Bon sérieusement, j’ai couvert le sujet dans l’article Enregistrement à Distance et Studios Privés, je ne vais donc pas me répéter, mais il est impossible de faire du travail professionnel dans un placard. Il ne s’agit pas de dépenser des mille et des cents, mais d’investir malin.
Par exemple, acheter un Neumann U87 et travailler en cabine préfabriquée de type Studiobricks, c’est un mauvais investissement : un micro 5 fois moins cher donnera de meilleurs résultats (les meilleurs micros sont trop sensibles pour les cabines préfabriquées, dont l’acoustique n’est pas idéale, mais qui suffit amplement pour la voix off si on prend un micro bien marié à l’espace).
Autre exemple : acheter un préampli alors que le préampli intégré d’une bonne interface est largement suffisant pour la voix off. Ce n’est pas investir, c’est acheter quelque chose dont on n’a pas besoin. Bien sûr, un préampli donnera un petit plus, mais c’est le dernier truc à acheter, une fois qu’on a coché tout le reste, à commencer par l’isolation phonique et le traitement acoustique de son environnement d’enregistrement.
Tout le monde parle, alors pourquoi se former à parler ?
Oui, tout le monde parle. Mais pas en devant interpréter un script que nous n’avons pas écrit. En synchro avec un film. Dans un environnement acoustique non-naturel. Résultat ? Beaucoup de novices non formés (ou mal formés) ‘lisent à voix haute en mettant le ton’, en parlant à un objet inanimé (le micro), plutôt que de raconter une histoire à des gens – ce pourquoi on veut nous embaucher.
La solution ? Oui, c’est se former. Avec des gens qui ont une légitimité dans le métier, et qui peuvent le prouver avec un portfolio visible et fourni. Plus sur ce sujet essentiel dans l’article Formation Voix Off, Coaching, Mentoring et Arnaquing, que je vous recommande vivement de lire.
L’argent, mais aussi le temps
Investir, ce n’est pas uniquement avec de l’argent. C’est aussi du temps. Quand j’étais plus jeune, avant l’avènement d’internet, avant l’existence des studios privés, notre métier se limitait à avoir un agent (donc à être bon, les agents étant extrêmement sélectifs à l’époque), à être à l’heure aux séances, à bien travailler, et notre agent s’occupait du reste. J’en parle plus en détail dans l’article Voix Off, c’Était Mieux Avant ?
Maintenant, être un dilettante de talent ne suffit plus si on veut gagner (correctement) sa vie avec la voix off. Même si on a des agents, c’est devenu un métier à plein temps, n’en déplaise aux précieuses ridicules qui se prennent pour des artistes, un sujet que je développe dans Sortie des Artistes.
Contrairement à ce que les allergiques au travail pourraient penser, être comédien voix off, c’est comme tout autre artisan : il faut investir du temps, chaque jour, dans son métier. Mettre à jour son site web et sa chaîne Youtube voix off, écouter quotidiennement le travail des collègues pour s’affûter constamment les oreilles, participer à des conversations constructives, poster des infos intéressantes et faire sa promo sur les réseaux sociaux, c’est chronophage bien sûr, comme l’est toute activité professionnelle : ça s’appelle du travail. J’ai plus de 30 ans de métier, des agents partout dans le monde, et je fais ça tous les jours. Si vous débutez et pensez pouvoir réussir sans travailler, bonne chance à vous.
Les artisans travaillent en moyenne plus de 10 heures par jour, et les comédiens voix off qui réussissent sans faire partie de réseaux népotistes n’échappent pas à la règle. Passez du temps à travailler sur votre business, et vous récolterez les fruits de votre investissement. Les petits ruisseaux font les grandes rivières, disait encore ma grand-mère. Il y avait de bons dictons, du temps des anciens !!
J’espère que cet article vous aura enrichi. Pour en discuter avec vos collègues, ne manquez pas de le partager avec eux sur vos réseaux sociaux. Je vous invite à commenter cet article, et si vous avez des questions, je ferai de mon mieux pour y répondre !
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Merci Pierre, pour ce cet article qui résume à lui seul, une vraie problématique que l’on se pose lorsque l’on débute dans le métier. Moi-même j’ai eu du mal à trouver le bon équilibre entre :je me forme, je m’équipe mais je ne rentre pas encore d’argent. Mes coachings avec toi m’ont vraiment aidé à y voir plus clair….j’avance plus sereinement sur mon lancement restant convaincue des arguments que tu viens de développer ici. Du bon sens finalement.
Avec plaisir Charlotte. C’est une vraie problématique, que rencontre tout artisan. Il faut trouver le bon moment et ça, c’est difficile.
Merci Pierre, ton franc-parler habituel résume une situation encore beaucoup rencontrée (et qui ne m’a pas épargnée) : je veux me lancer, mais j’ai peu de moyens, ou alors je n’ose pas investir par peur d’échouer. Ou pire, je veux gagner de l’argent mais ne surtout pas en dépenser… Mais si on n’investit pas dans son métier, on ne peut qu’échouer, finalement. Evidemment, chacun son rythme, et surtout chacun son objectif.
Comme le dit Charlotte, je m’équipe, je continue à me former (nouvelle formation prévue l’année prochaine, et qui sait, peut-être des coachings ensemble?), je ne rentre pas encore dans mes frais, et j’accepte que le retour sur investissement ne soit pas immédiat… mais il finira par l’être :-)
Avec plaisir Gaëlle – effectivement, si on ne se donne pa la peine d’investir dans son business, pourquoi d’autres (les clients potentiels) investiraient en nous ?
C’est super que tu te formes, par contre attention avec qui, il y a à boire et à manger, et surtout de non-comestible, tout un business s’est créé qui cherche à vivre des gens qui veulent avancer dans leur métier, qui mentent par omission (on en parle, des formations qui proposent du doublage sans mentionner que si on n’habite pas Paris ou Lyon, on ne sera quasiment jamais pris, quel que soit son talent ?) J’ai écrit un article sur les formations que je te recommande très, très chaudement de lire AVANT de signer sur les pointillés https://voixoff.pro/formation-voix-off-coaching-mentoring-et-arnaquing/ Coaching ensemble, parlons-en après les fêtes !
Super article!
Ce que je retiens le plus c’est que si l’on investit pas c’est peut etre que nous ne sommes tout simplement pas prêts ou faits pour ce métier..
Et c’est tout à fait vrai, en tant que cliente je n’embaucherai pas la personne qui propose un travail amateur!
Merci Charlotte – les clients sont comme tout le monde : qui veut investir dans quelqu’un qui ne se donne même pas la peine d’investir pour lui-même ?