Voix off, narration et livres audio, parlons-en
Le livre audio est une discipline bien à part dans la pratique de la voix off. Tellement à part que pour moi, c’est un métier bien distinct. On en parle ?
Livres audio : lire à haute voix ?
En tant que comédien voix off professionnel, on peut penser pouvoir sans souci s’attaquer à la narration de livres audio (appelés audiobooks par les anglophiles) sans s’y être préparé. Après tout, c’est aussi parler dans un micro, non ? Bien sûr, comme être comédien voix off, c’est juste parler dans un micro. Oui, c’est du sarcasme.
Narrateur, c’est un métier à part entière, rien à voir avec comédien voix off, à part le fait que pour les deux, on utilise ses cordes vocales. Un peu comme menuisier et forgeron : ils utilisent tous les deux leurs mains et des outils qui se ressemblent parfois un tantinet, mais la similitude s’arrête là.
Narrer demande une approche radicalement différente du texte : c’est emmener les auditeurs dans l’univers de l’histoire au long cours qu’on leur raconte, avec un rythme et une mélodie qui leur donneront l’envie de se projeter dans l’histoire jusqu’au bout – et cela n’est pas donné à tout le monde. De très bons comédiens voix off sont incapables de faire ça, et de très bons narrateurs sont incapables d’exceller en voix off pub ou institutionnelle.
Bon, tout ça c’est quand même raconter une histoire, non ?
Les personnes que je coache ou qui ont suivi avec moi une formation voix off en coaching individuel ou en stage me diront “Non mais attends Pierre, ne dis-tu pas que tout est raconter une histoire, même s’il s’agit d’une signature de spot TV de 5 mots ?” Et je leur répondrai “Doucement Armand, oui je dis ça, mais une histoire de 5 mots et une histoire de 150.000 mots, ça ne s’approche pas pareil, Mireille”.
Certains disent que la narration, c’est “lire à voix haute”. Au-delà de la sémantique et sans vouloir faire de la sémiologie de comptoir ou faire du mal aux coléoptères, le choix des mots est important. Pour moi, narrer n’a rien à voir avec lire. On lit avec les yeux – avec la bouche, on parle. La différence entre lire et dire.
Lire, c’est le processus de décoder et de reconnaître des caractères. Narrer, c’est raconter, comme les conteurs le faisaient autrefois autour de la cheminée, ou le font encore dans certains pays sur la place du village. Et contrairement aux conteurs, avec un script écrit et imposé. Seul, devant un micro, sans audience, dans une cabine acoustiquement traitée dont le son n’est donc pas naturel pour un espace intérieur. Mais sinon, effectivement, c’est pareil Corneille.
Quid des respirations ?
Le débat des respirations… On les retire ? On les laisse ? Alors… quand il y a une bande son, avec de la musique, des SFX, comme dans ce spot TV pour hotels.com par exemple, les ingés son retirent bien évidemment les respirations. Mais quand le résultat final est la voix et rien que la voix ?
Comme dit plus haut, nous sommes des raconteurs. Nous parlons à des gens en leur racontant une histoire. Sauf que les gens ne nous voient pas, et nous ne les voyons pas non plus. Pour pallier à ce handicap (même en laissant de côté la règle 7-38-55 un poil simpliste d’Albert Mehrabian, plus de 50% de la communication est non-verbale dans la vraie vie), l’idée est de rendre notre interprétation aussi humaine que possible.
Et les humains, quand ça parle, ça cherche parfois ses mots, ça s’emballe parfois et parfois ça ralentit. Et ça respire, des fois en milieu de phrase, ça ne respecte pas la ponctuation parce que dans la transmission orale, la ponctuation n’existe pas, bref, ça ne cherche pas à faire ce que les voix générées par intelligence artificielle font très bien. J’aborde d’ailleurs le sujet dans mon article Voix off Et Intelligence Artificielle.
Ce sont les ‘imperfections’ qui nous rendent humain ; je développe ce sujet dans un article nommé, justement, Playdoyer pour l’Imperfection que je vous invite chaudement à lire. Et les gens qui écoutent les histoires connectent bien mieux avec les humains qu’avec des robots.
Cela dit, nous livrons généralement dérushé mais non-nettoyé, et c’est au client de décider ce qu’il fait de l’audio. Mais, vous l’aurez compris, je ne saurais que trop recommander de garder ce qui permet aux auditeurs de se projeter dans l’histoire en se connectant avec le conteur.
On lit quoi, physiquement ?
Vous voulez dire, quel est le support que nous utilisons pour narrer ? Je sais, je suis lourd avec ça mais si ça peut aider à faire entrer le message, je n’hésiterai pas à utiliser la marteauthérapie. Il est indispensable, essentiel, vital, de comprendre la différence entre lire et narrer.
Maintenant que j’ai fini de faire mon bolosse (wesh wesh je cause le jeune), la réponse : généralement, on reçoit un document électronique que nous affichons sur l’écran du moniteur cabine, ou ipad, bref. On peut aussi faire ça à l’ancienne, en imprimant le livre. Oui oui, ça se fait encore.
Je demande toujours un document au format éditable, pourquoi ? Parce que je peux changer la police de caractères et le corps du texte. Un détail pour certains mais pour moi ça veut dire beaucoup, vu que je suis miro. Certains sont plus à l’aise avec du sérif, d’autres avec du sans-sérif, bref, pouvoir éditer le texte, c’est un must. Je parle de la présentation des scripts dans Petit Guide De La Séance De Rêve.
Et on narre comment ?
On narre comme le client veut que l’on narre. Parce que nous sommes des prestataires de service, au service, justement, des clients – plus sur ce sujet dans mon article Une question d’organe. Si votre client ne vous a pas donné de brief, demandez-lui. Si la réponse ne vous semble pas assez précise, redemandez, jusqu’à ce que vous soyiez clair sur ce qu’on attend de vous.
Pareil pour l’interprétation des personnages : subtil, appuyé… Chacun à ses préférences, et ce n’est pas à nous de décider. Encore une fois, nous ne sommes pas des artistes, mais des prestataires de service – ne jamais oublier qui signe le chèque. Je développe ce point dans mon article Sortie des artistes.
Quid des liaisons ? Je me répète, mais le texte devrait vous guider. Un petit conseil : une fois que tout est clair, enregistrez quelques minutes et envoyez à votre client pour accord. S’il veut ajuster le ton, c’est mieux maintenant qu’après livraison du premier chapitre de 62 pages. Ça sent le vécu, non ?
Côté technique : rock’n’roll ou punch’n’roll ?
Je ne parle pas d’Elvis contre Ali (hilarant, non ?) mais des méthodes utilisées pour enregistrer les livres audio. Il y a deux écoles : le punch’n’roll, et le rock’n’roll. Si certains de ces termes ne vous sont pas familiers, cliquez dessus, vous en aurez la définition dans mon petit dictionnaire de la voix off.
Personnellement je rock’n’roll en repiquant directement sans m’arrêter, je trouve que ça permet de mieux rester dans la fluidité du débit, et le dérushage est facile grâce aux clics visibles sur la waveform, mais chacun sa préférence. Comme disent les britanniques, the proof is in the pudding.
Je parle ici de travail en studio privé – en studio commercial, vous avez juste à narrer, l’ingé son fait le reste. Luxe calme et volupté !
Et l’argent dans tout ça ?
Mais bien sûr, yachts, hélicoptères, jets privés, villas de rêve… Non, on ne devient pas riche avec le livre audio. Il faut aimer narrer au long cours (et en avoir les compétences), bref ce n’est pas pour tout le monde. En revanche, se colleter à la narration est un excellent exercice pour tous : on y apprend à se poser dans le script, à être à l’écoute du texte et à le laisser nous emmener là où il veut aller, et c’est une fantastique gymnastique pour les cordes vocales qui, rappelons-le parce que ça ne fait pas de mal, sont des muscles.
Contrairement aux autres disciplines, le livre audio est rémunéré en heure finie. Attention : le ‘finie’ de heure finie ne signifie pas ‘prêt à distribution’, mais se réfère au temps d’écoute total du fichier. Si votre client vous paye 300 € facturé / heure finie et que le temps d’écoute totale du livre est de 12 heures, vous serez payé 3600 € pour ce livre.
Généralement, les tarifs incluent le dérushage mais pas le nettoyage. Si votre client vous demande de livrer nettoyé, ajoutez 100 € / heure finie et sous-traitez, parce que sinon, vous n’aurez vite plus de cheveux à force de vous les arracher. Ingé son, c’est un métier, et ce n’est pas le nôtre.
Assurez-vous d’établir les conditions avec votre client AVANT de commencer à enregistrer. Par écrit parce que les paroles passent, et les écrits restent. Et rendez-vous service, ne cassez pas les prix – plus sur le sujet dans cet article qui traite des tarifs dans le métier de la voix off.
Mais sinon c’est vite fait, non ?
Non. Nombreux sont les comédiens voix off qui s’y sont cassés les dents. Comme je le disais plus haut, c’est une discipline à part qui prend du temps à maîtriser pour produire un bon travail. Avec beaucoup d’expérience, on arrive à produire une heure finie dérushée en deux heures de studio, incluant la pré-lecture en diagonale. Mais ça, c’est avec beaucoup, beaucoup d’expérience.
Petit conseil : si le livre contient des termes techniques ou en langue étrangère que vous ne maîtrisez pas parfaitement, demandez un guide de prononciation à votre client. Vous me remercierez plus tard.
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